Il y a un siècle, le Titanic

Il fait nuit, une nuit claire et glaciale d’Avril, nous sommes à deux ans de la première déflagration mondiale. Un navire avance vers l’Ouest dans l’ Atlantique nord, propulsé par ses puissantes machines de 45 000 CV.

A son bord, des immigrants, des secondes classes et bien entendu le gratin de la haute société anglo-saxonne.  A la tête de ce que l’on a appelé le Léviathan des mers, un commandant à la veille de sa retraite au passé brillant mais controversé.

Dehors il fait froid et noir, à bord il fait bon et la gaité est de mise, celle des 3 ème classe en quête d’un monde meilleur plein de promesses, celle des ponts supérieurs qui font la fête en vue de l’arrivée prochaine à New-York. Le bateau est illuminé. Quelque part dans l’Atlantique un morceau de glacier détaché de la terre flotte vers le sud. La rencontre des deux sera fatale à la folie des hommes et bientôt le nom de ce navire crépitera dans toutes les salles de rédaction : Le TITANIC, nous sommes le 14 Avril 1912 …

Revenons un peu en arrière pour savoir comment on en est arrivé là. Il faut replacer les choses dans leur contexte de l’époque, le décollage économique des États-Unis a commencé, ce pays a besoin de main d’œuvre déjà qualifiée et devient le miroir aux alouettes pour une grande quantité de pauvres gens vivant misérablement dans leur pays d’origine et dont l’Amérique est le salut. Mais l’Amérique, c’est loin et pour y aller on ne connaît que les bateaux, alors on va en construire de plus en plus dans la vieille Europe , des bateaux de plus en plus rapides, de plus en plus grands et de mieux en mieux équipés. Il est à noter que quand les  U.S.A décidèrent de mettre un frein à leur politique d’immigration, le trafic Nord Atlantique diminua sérieusement en matière passagers, période qui inaugura aussi le voyage aérien.

Bien entendu, il n’y a pas que les immigrants, il y a aussi les gens qui commencent à commercer entre le nouveau et l’ancien continent et le courrier qui s’ensuit. Bref, sur l’Atlantique Nord se croisent beaucoup de navires dans les deux sens, Europe-Amérique et vice-versa, ne perdez pas de vue ce détail, il aura son importance dans quelques lignes. Bien entendu des fortunes colossales se battissent , la Cunard’s, la White Star en Angleterre pour les plus connues, la Compagnie Générale Maritime des frères Pereire en France tire bien son épingle du jeu et l’Allemagne n’est pas en reste avec ses paquebots rapides. Chacun essaie de tirer la couverture à soi en améliorant le service et la qualité à bord.

Les navires de cette époque fonctionnaient à la vapeur produite par des chaudières haute pression qui animait des machines à pistons alternatifs. Je vous ferai grâce des détails techniques qui ne nous avanceraient pas dans notre propos. Une chaudière, c’est de l’eau et de la chauffe, au début du XXème siècle cette fonction était dévolue au charbon. Il faut bien avoir aussi en tête ce deuxième détail. Le charbon demande beaucoup de main-d’œuvre payée misérablement, taillable et corvéable. Il suffit de se rappeler de Jules Durand dans notre ville deux années avant qui avait pris le parti de ces pauvres hères rejetés de tous et considérés comme la lie de la société.

Un bateau, c’est une coque en acier constituée de plaques assemblées par des rivets chauffés à blanc sur lesquels tapent des riveteurs avec des outils pneumatiques dès cette époque, pour assurer la jonction des tôles. Ces derniers, dans l’échelle sociale , ne sont pas plus élevés que les charbonniers. Donc les compagnies européennes font construire des navires dans des chantiers navals avec des  exigences de rentabilité certaines. Cela appelle des conflits sociaux, surtout de la part de ceux qui n’ont rien à perdre. L’Angleterre victorienne est secouée de beaucoup de ces luttes ouvrières, il s’ensuit des retards dans la fabrication des aciers et déjà à cette époque, la déclassification des éléments de construction existait en ne respectant pas les cahiers des charges à la lettre.

Bref, dans ce contexte, en 1907 la White Star Line avec à sa tête Mr Bruce Ismay et Lord James Pirrie président des chantiers navals de Belfast Harland et Wolff, décident de construire trois sisters ships qui seraient l’ Olympic, le Titanic et le  re-baptisé Britannic, la terminaison IC étant la marque de propriété de la White Star. Une fois opérationnel l’ Olympic eut un accident de mer qui nécessita son retour pour réparation à Belfast et retarda d’autant le lancement du Titanic et accéléra la cadence de  montage amenant les fournisseurs à approvisionner des produits défectueux. Enfin , le Titanic est lancé, c’est une belle unité possédant un luxe d’équipement pour l’époque et des innovations techniques les plus récentes, rapide, assez manœuvrable et esthétique. Il va partir pour sa croisière inaugurale et arrive à avoir, non sans mal, du charbon suite à une grève des mineurs. Nous sommes en Avril 1912.

Il part de Southampton avec ses passagers, passe par la France en face de Cherbourg, en rade foraine car le port ne pouvait  le recevoir à quai, il fit route vers l’Irlande pour rendre à Queenstown ses derniers passagers. Ils sont 1324 et 889 membres d’équipage. Si l’équipage est au complet ils ne sont qu’en gros qu’une moitié de la capacité passagers qui peut aller jusqu’à 2435.

Dans l’équipage, il y a deux « anomalies » ; l’orchestre qui n’appartient pas à la compagnie ( pour l’anecdote sordide, après le naufrage, le repreneur de la White Star fit parvenir aux veuves des musiciens une note réclamant le coût du costume perdu …) et les opérateurs radio qui appartiennent à la société Marconi qui les met à disposition, moyennant finance, de la compagnie.

Laissons là notre navire aller vers son funeste destin à 22 nœuds (environ 42 kms/h). Cette catastrophe est gravée dans les mémoires mais au printemps 1914 le «  Empress of Irland » coulait dans le Saint Laurent avec 1012 disparus dont 840 passagers. La plus grande tragédie maritime de tous les temps étant le torpillage par le sous-marin soviétique S13 du paquebot allemand Whilem Gustloff le 30 janvier 1945 entrainant dans la mort 9343 personnes fuyant la guerre dont environ 4000 enfants….

Après cet aparté revenons au Titanic en particulier à ces opérateurs radio de chez Marconi. La TSF ( Télégraphie Sans Fil) n’est pas nouvelle sur les paquebots , le premier navire marchand équipé de TSF de chez Téléfunken était allemand, en 1900, le Kaiser Wihlem der Grosse ( l’Empereur Guillaume le Grand). En 1912 il faut savoir que sur 23217 navires immatriculés et en service seuls 1000 dont 400 anglais étaient équipés de la radio qui avait déjà fait ses preuves dans le sauvetage des rescapés d’un naufrage. Mais souvent cet appareillage était utilisé par les passagers à des fins non maritimes, les liaisons armateur-navire étaient réduites à la portion congrue souvent gratuite si utilisant peu de mots mais devenant payante au dessus d’un certain seuil. Il n’existait pas non plus de règle bien définies sur le mode de fonctionnement des émetteurs.

Mais qui dit TSF dit électricité, le Titanic n’est pas en reste dans le domaine. Le courant fourni par les quatre génératrices de 400 Kw chacune était du 100 volts continu sous 16 000 A, un seul fil d’alimentation, le retour par la coque. Beaucoup d’appareillage électrique sur ce navire tant du point de vue navigation ( treuils, pompes, ventilation, grues etc…) que pour le confort des passagers ( ascenseurs, chauffage, piscine, sauna etc…), l’éclairage aussi tant du point de vue passagers que de l’infrastructure était à ampoules de dernière génération.

Le courant continu a l’inconvénient sur l’alternatif de ne pas pouvoir utiliser de transformateur tel quel, d’où de fortes sections de câbles avec des sous-stations après le tableau de distribution général, en tout 320 kms de ficelles en tous genres, on rajoute à cela un réseau téléphonique à la disposition des passagers de 1ère classe mais curieusement sans liaison entre la passerelle et le local radio, et enfin la TSF.

Le local et le matériel sont la propriété du Titanic donc de la White Star, mais les opérateurs comme dit plus haut dépendent de la Sté Marconi, le local radio est proche de la passerelle (sans y être reliée par aucun moyen acoustique), et des quartiers des officiers sur le pont des embarcations. Ce local se divisait en une salle radio où se trouvait le matériel de manipulation et celui de contrôle ainsi que les horloges, une chambre de repos pour les opérateurs et le local technique de l’émetteur principal alimenté par le 100 volts ainsi qu’un émetteur de secours sur batterie.

Cet émetteur Marconi était un modèle rotatif à étincelles dit à ondes amorties de 5  Kw de puissance, alimenté par un alternateur de 300 volts sous 60 périodes lui même entrainé par un moteur à c.c. en 100 volts, tension du bord. Sa conception avait amené à capitonner la pièce d’émission pour étouffer le bruit des étincelles et à l’isoler électriquement pour limiter les interférences entre la réception et l’émission. Ce générateur de porteuse, par  couplage de condensateurs, allait de 300 à 600 m. de longueur d’onde ( 1 MHz à 500 Khz). Cet émetteur principal était relié bien entendu à une antenne prise entre les mâts hauts d’une soixantaine de mètres et distants de 180 mètres environ, constituée de quatre câbles en bronze traité au silicium. Cette antenne permettait tant  la réception que l’émission des messages, messages des passagers et messages professionnels maritimes envoyés comme il se doit pour l’ époque, en Morse. Un câble reliait ces quatre lignes en leur milieu vers la cabine d’émission. La société Marconi certifiait que ce type d’émetteur couvrait 400 Kms de portée, mais, en réalité, il pouvait aller jusqu’à 600 kms de jour distance portée à près de 3000 kms de nuit, si les conditions météo étaient bonnes, ce que tout radioamateur connait. Comme toute station radio le Titanic avait son indicatif  MGY, le M signifiant l’appartenance à la société Marconi.

Devant ce matériel, ce jour fatidique, se trouvaient deux jeunes opérateurs  Mrs Philipps et Bride. Ces derniers transmettaient les messages du navire avec la Compagnie pour le commandant et avec la terre pour les passagers. Ils avaient en tant qu’employés de la société Marconi à assurer la maintenance du matériel et être capable d’envoyer et de recevoir à la cadence de 25 mots minute ce que Mr Philipps dépassait allègrement. Ils vivaient le rythme des officiers de bord tant que par le côté quart que celui des prestations hôtelières.

Il y eut une panne d’émetteur en fin de la journée du 12 avril ce qui obligea les opérateurs à réparer la nuit, pendant ce temps les messages des passagers s’accumulaient … En ce jour du 14 avril 1912 dans la matinée, le radio du Titanic reçut un premier message l’avertissant de la présence de glaces flottantes à une latitude très basse sur l’Atlantique à cette époque de l’année. Le navire avance vers New York, plusieurs messages préviennent de la multiplication des icebergs, toujours par radio. A 23 heures Mr Philipps remplace Mr Hyde qui termine son quart, les deux hommes sont exténués par leur manque de sommeil résultant de la panne et de l’émission à jet continu des messages, retardés par l’incident,  des passagers. Un  message est envoyé par le Californian vers le Titanic, toujours pour la même raison, mais ce bateau étant très proche il fût reçu très fort et très clair dans les oreilles fatiguées de Mr Philipps qui fit injonction au radio du Californian de se taire pour le laisser émettre les messages commerciaux des passagers vers Cape Race aux États-Unis Cette attitude n’a rien d’anormal en 1912 où rien n’est encore obligatoire pour mettre les informations maritimes prioritaires sur l’aspect mercantile et surtout pour cause financière, les messages privés rapportant beaucoup à la Sté Marconi, d’autant plus que plusieurs compagnies de TSF se partagent le trafic avec des comportements de « bandits » refusant souvent de faire suivre ou transmettre les messages des concurrents ( Pour ce faire une idée de cet état des lieux, imaginez la prévention routière et sa signalisation appartenant à des sociétés « libérales » privées qui ne tiraient «  la bourre » en refusant de communiquer les problèmes et dangers de circulation à d’autres personnes non adhérentes à leur système…).

Par 41′ 45° de latitude Nord et 50’14° de longitude Ouest le Titanic rencontre son destin blanc, froid, silencieux mais mortel. Il est près de minuit, après avoir constaté la blessure à mort de l’Orgueil des Hommes le commandant Smith et le concepteur du navire Andrews donnent l’ordre de l’envoi d’un CQD, il est 0 h 15 ce qui signifie pour les professionnels radio CQ = appel général réclamant l’attention de celui qui l’écoute, et D pour détresse. Ce message historique est le suivant :

«  Avons heurté iceberg, coulons rapidement, demandons aide. »

                   Comme je pense vous le savez, les rivets de fer et non d’acier fournis dans l’urgence ont cédé sous la pression de la glace faisant un pointillé de 60 mètres de petites voies d’eau sur  tribord  avant qui embarque des tonnes d’eau qui submergent les cloisons étanches (qui ne vont pas jusqu’en haut de la coque) des compartiments atteints. Le Carpathia  à 50 miles de là trouve étrange le brutal silence radio du Titanic, appelle Philipps et reçoit le CQD appuyé de «  Venez vite ! »

Le Carpathia sera le premier sur les lieux du naufrage. Pour l’anecdote un radioamateur New-Yorkais insomniaque nommé Sarnoff a suivi l’agonie du navire en direct et a prévenu la presse américaine. A bord, après l’incrédulité et la stupeur, c’est la panique, vous avez vu différents films traitant du sujet avec plus ou moins de sérieux.

En bas, à la machine, des marins vont sciemment se sacrifier    pour permettre l’équation :

Vapeur=>Machines=>Générateurs=>Électricité=>Radio

pas un n’en réchappera du Chef  au soutier …..

A 2 h 17 la fourniture électrique cesse, la radio s’arrête, le dernier message emploie pour la première fois sur ce navire le S.O.S. (pourtant reconnu depuis 1908 pour sa simplicité ; 3 points 3 traits 3 points, tant à la manipulation qu’à la reconnaissance.) «  SOS we are sinking! » «  Nous coulons »…..

Sur 2 223 personnes à bord, 1 517 vont disparaître dont 75 % des membres d’équipage. Mr Philipps est mort dans le naufrage ( de froid aux alentours d’un canot) Mr Bride est survivant et vécut jusqu’en 1956 en Ecosse où il s’éteignit âgé de 66 ans, il ne parla plus jamais du Titanic.

Que retenir de cette catastrophe, en premier lieu le manque de canots et leur remplissage,  il était courant à l’époque que le nombre d’embarcations de sauvetage soit inférieur au nombre de passagers, et le Titanic était dans la règle, les armateurs tablant sur l’intense trafic sur l’Atlantique Nord pour permettre un sauvetage rapide. Le commandant Smith décédé dans cette affaire, avait déjà eu des problèmes de discernements dans les décisions à prendre dans ses commandements précédents. Ensuite cette nuit sans lune et sans jumelles de vigie mystérieusement disparues lors de l’escale à Cherbourg. La trop grande vitesse du bâtiment dans un champ de glaces, vitesse quand même cohérente avec les dispositions de l’époque. La mauvaise décision de l’officier de quart, Mr Murdoch, d’abattre machine arrière toute et barre à bâbord ce qui retirait au navire toute sa manœuvrabilité résultant de sa   perte de vitesse sur son erre et l’empêchant de virer correctement, ou alors machines « arrière toute » et choc frontal qui aurait causé moins de dégâts que les 5 compartiments noyés alors que la flottabilité n’était assurée qu’avec 4  submergés. Voir le Stockolm contre l’Andréa-Doria dans les années ’50, et on peut encore épiloguer, cela ne le fera pas revenir à la surface. Un dernier détail, la rupture proue-poupe, l’effet de cisaillement eut lieu à l’emplacement du grand escalier, corps creux dans la structure, ce fût aussi un immense défi technologique dans la réalisation de la salle à manger de « Normandie ». Imaginez aussi lors de la descente de la proue  que tout ce qui n’était pas tenu à la coque est descendu vers l’avant, vaisselle, vivres, matériel divers et varié ainsi qu’une chaudière non tenue sur ses rails dans un fracas assourdissant, le même phénomène a été aussi constaté lors du chavirement du paquebot Costa il y a quelques semaines autant de projectiles pour les personnes restées à bord non évacuées …

Quelles conclusions après cette catastrophe au niveau de la TSF. La première,  la non-professionnalisation du métier d’opérateur par manque de règles précises et internationales de sécurité comme la veille radio, l’obligation à tout navire de posséder une TSF qui fonctionne 24 heures sur 24, un circuit autonome électrique pour la radio et l’obligation d’utiliser le SOS, reconnu le 3 novembre 1906 et officiel depuis le 1er juillet 1908 mais négligé par les opérateurs de chez Marconi en particulier qui préféraient garder le CQD de même que le dernier SOS restait non identifié par des opérateurs d’autres unités qui ne le connaissaient pas.

Il faut savoir qu’à New-York, il y a une plaque commémorative des radiotélégraphistes morts en mer où Mr Philpps figure en bonne place, et que tous les ans le 15 Avril à 2 heures 17 tous les radionavigants interrompent le trafic pendant 5 minutes à la mémoire de Jack Philipps surnommé «  Sparks » Étincelles à cause de sa grande rapidité de manipulation.

 

         Enfin, il faut se rappeler que sans la TSF le bilan en nombre de victimes aurait sûrement été beaucoup plus lourd.

Schéma de fonctionnement de l’émetteur du Titanic

 

La Salle de contrôle radio de dos Mr Bride

 

 

Les opérateurs radio Mrs Philipps et Bride

 

Remerciements à deux ouvrages en particulier, le premier «  Cantique pour la fin  d’un voyage » de Erik Fosnes Hansen qui relate la vie domestique du paquebot et «  Les Grands paquebots Disparus » de Robert D.Ballard et  Rick Archbold ainsi que l’incontournable Wikipédia pour certaines données techniques.

Le 17 Mars 2012

Photos tirées de Google images